Actualités of Monday, 4 June 2018

Source: Repères N°646

Enquête exclusive: voici comment Paul Biya choisit ses ministres

Le dernier remaniement date du 2 mars 2018. Le dernier remaniement date du 2 mars 2018.

Incursion au cœur des manœuvres et démarches conduisant à la formation du gouvernement depuis l’avènement du Renouveau.

Depuis son arrivée au pouvoir le 6 novembre 1982, Paul Biya a déjà formé 35 gouvernements et utilisé plus de 300 ministres. A l’analyse, force est de constater que le président de la République n’a pas toujours eu la main heureuse. En témoignent l’inaction, l’inertie et logiquement les piètres résultats obtenus par certaines équipes gouvernementales, qui ont eu le don de provoquer la colère du Président dans son discours du 31 décembre 2013. Du coup, d’aucuns se demandent comment Paul Biya choisit ses ministres.

Au début de son magistère, Paul Biya a gouverné avec des hommes dont il avait une profonde connaissance. Soit parce qu’ils l’ont accompagné pendant son cursus académique, soit parce qu’il a travaillé avec eux tout au long d’un parcours professionnel entamé dans la haute administration. « Ses premiers gouvernements portent grandement sa marque, et l’empreinte de son prédécesseur qui lui recommandait des ministres. Il était extrêmement rare qu’un homme sorti de nulle part se retrouve au gouvernement », croit savoir un cadre de la présidence aujourd’hui à la retraite.

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Plus tard, avec la disparition et le vieillissement des camarades d’école et autres collaborateurs de la primature ou du secrétariat général de la présidence, Paul Biya est contraint de solliciter de nouvelles têtes, peu ou prou connues de lui, pour l’accomplissement de sa mission. Il utilise plusieurs canaux pour choisir ses ministres. Il est fréquent que le second président du Cameroun repère certaines personnalités, qui sont discrètement suivies pendant longtemps. En homme des cabinets se posant en parfait connaisseur des dossiers et des hommes, «le président de la République lui-même tient un carnet dans lequel il relève les noms des hauts fonctionnaires et personnalités qui attirent favorablement son attention par différents rapports », révèle Jean- Marie Atangana Mebara.

Dans son livre « Le secrétaire général de la présidence de la République au Cameroun. Entre mythes, textes et réalités », l’ancien ministre d’Etat SG/PR livre quelques secrets et anecdotes croustillantes sur la démarche de Paul Biya pour choisir ses collaborateurs : « Vous savez, le Président met un soin particulier à choisir son plus proche collaborateur. Je sais, a posteriori, qu’il fait mener des enquêtes sur la personne ou les personnes pressenties ; et ce genre d’enquête peut durer plu- sieurs mois, voire des années ».

LE RÔLE DU SG/PR

C’est que le SG/PR, à en croire les confidences de Jean- Marie Atangana Mebara, joue un rôle majeur dans le choix des ministres. Très souvent, le Président lui demande de mener des consultations à la veille de la formation d’un gouvernement. « C’était mon devoir lorsque le Président me sollicitait, de lui soumettre des noms de hauts fonctionnaires que je connaissais et dont, sur ses recommandations, j’avais rempli mon ‘’petit carnet’’ », révèle l’ancien ministre d’Etat SG/PR.

Mais le SG/PR n’est pas l’unique bénéficiaire d’un tel privilège. Les gouvernements portent aussi la marque du Premier ministre et du directeur du cabinet civil du président de la République. Ce qui explique aussi que ce dernier entretienne une cour de courtisans et d’obligés.

L’après élection présidentielle est propice à l’entrée de nouveaux hommes au gouvernement. Comme en 2004. A l’audience qu’il lui accorde à cet effet, le ministre d’Etat SG/PR d’alors doit, sur instruction présidentielle, apporter la liste des personnalités ayant participé à la campagne électorale ainsi que les résultats des différentes circonscriptions. « C’est à par- tir de ces données que le Président a fait le choix des régions et départements qui écrit Jean-Marie Atangana Mebara. Au-delà des personnalités à récompenser ou des noms sortis des ‘’petits car- nets’’, le Président reçoit des propositions de nominations de tout le pays et des différents corps sociaux.

RECOMMANDATIONS TOUS AZIMUTS

« Après une élection présidentielle, écrit Jean-Marie Atangana Mebara, le président élu reçoit des lettres et des mémorandums de toutes origines, expliquant les unes que son élection doit particulière- ment au dévouement de telles et telles personnalités, et les autres que les populations de la région ou du département d’origine de ces personnalités seraient heureuses et infiniment reconnaissantes de voir leurs fils entrer au gouvernement. Les autorités administratives adressent aussi leurs notes confidentielles sur les élites ayant le soutien des leurs ou ayant significativement contribué à la campagne électorale. Les services de renseignements y vont aussi de leurs bulletins spéciaux. » Sans oublier les partis politiques alliés qui attendent un retour d’ascenseur.

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L’entrée en scène de tous ces acteurs, très souvent intéressés, ouvre inéluctablement la porte au clientélisme, au copinage, au marchandage…

«Pendant l’élection présidentiel- le, d’aucuns pour justement entrer dans les bonnes grâces présidentielles recourent à la tricherie, gagnent grâce à l’achat des consciences et sont donc, sur cette base, propulsés au gouvernement sans être préparés à assumer ces responsabilités », note un ancien responsable politique du RDPC qui ne cache pas son amertume de n’avoir pas été récompensé à la mesure de ses efforts dans l’arène. Ce qui, s’énerve-t-il, peut justifier par exemple que dans le dernier gouvernement se retrouve un fonctionnaire n’ayant jamais été auparavant ne serait-ce que chef de service.

Dans une de ses lettres écrites en prison, Marafa Hamidou Yaya, lui-même ancien SG/PR, rapporte qu’au lendemain de la formation du gouvernement de 2004, le président de la République lui demande ce qu’en pense l’opinion. « Un gouvernement pléthorique », fait-il savoir. Et le Président de lui rétorquer que ce gouvernement compte 10 ou tout au plus 15 ministres, les autres étant des fonctionnaires à qui on a voulu donner un titre. C’est dire…